COVID-19 : La Cour fédérale allemande précise les conditions de minoration de loyers à la suite des fermetures administratives

03. Februar 2022 Blog International

La crise du virus SARS-CoV-2 a entraîné de nombreuses fermetures administratives de locaux commerciaux à travers l’Allemagne. Ces mesures, imposées aux commerçants par la puissance publique, ont immédiatement soulevé la question du sort des loyers dus au titre des locaux ainsi fermés. Traduite en termes juridiques, cette question est en réalité protéiforme : l’impossibilité d’user un local à des fins commerciales constitue-t-elle un défaut de la chose louée ? Faut-il au contraire considérer que l’utilisation commerciale du local relève du seul risque du locataire et que donc le loyer reste dû en intégralité ? Une crise sanitaire mondiale ne doit-elle pas être vue comme un élément justifiant un aménagement de la relation contractuelle sur le fondement de l’imprévision ? Si une minoration du loyer doit s’opérer, quelle part du loyer reste due au bailleur ?

Par une décision attendue du 12 janvier 2022 (n° d’affaire : XII ZR 8/21), la Cour fédérale allemande (Bundesgerichtshof) a apporté quelques éclaircissements sur ces questions que nous avons synthétisés pour vous dans cette newsletter.

1. Le cadre juridique

Le code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch – BGB) offre trois moyens théoriques pour un preneur de refuser le paiement de l’intégralité du prix stipulé au contrat de bail.

Le droit de la location est en ce sens favorable au preneur que tout défaut de la chose louée qui en réduit la jouissance entraîne de plein droit une minoration du loyer, en vertu de l’article 536 BGB.

Par ailleurs, un débiteur n’a pas à s’acquitter de son obligation de paiement, si l’exécution de l’obligation synallagmatique (par hypothèse, l’obligation du bailleur) est impossible, articles 275, 326 BGB. 

Enfin, l’article 313 BGB dispose qu’un contrat doit être adapté, voire résolu en cas d’imprévision. Pour s’en prévaloir, les trois éléments suivants doivent être réunis :

  • Des circonstances considérées par les parties comme essentielles à l’exécution du contrat ont changé de manière substantielle (élément factuel),
  • de sorte que les parties, en connaissance de la situation réelle, n’auraient pas conclu le contrat du tout ou du moins à des conditions différentes (élément hypothétique)
  • et, qu’au vu de la répartition légale et contractuelle des risques, l’exécution du contrat à des conditions inchangées soit intolérable pour une partie (l’élément normatif).

Le législateur allemand a complété la loi d’introduction au BGB (EGBGB) par un article 240 § 7 entré en vigueur le 31.12.2020 qui met en place une présomption simple d’application de l’article 313 BGB au sujet des locaux loués pour un usage autre que l’habitation et dont la jouissance a été réduite ou suspendue par l’effet de mesures étatiques prises pour combattre la pandémie de COVID-19. Cette présomption ne concerne cependant que l’établissement de l’élément factuel de l’imprévision.

2. La décision de la Cour fédérale du 12 janvier 2022

Cette décision est intervenue au sujet d’un litige opposant l’entreprise textile allemande KIK au bailleur de l’un de ses locaux. Après avoir dû fermer ledit local du 19/03/2020 jusqu’au 19/04/2020, le preneur refusa de payer le loyer du mois d’avril 2020.

La Cour fédérale s’est notamment prononcée sur l’application des trois moyens présentés ci-dessus.

Elle répond tout d’abord par la négative à la question de savoir si une fermeture administrative constitue ou non un défaut de la chose louée. Conformément à sa jurisprudence antérieure, une fermeture administrative peut certes caractériser un défaut au sens de l’article 536 BGB, encore faut-il pour cela que cette fermeture se rapporte directement aux caractéristiques concrètes, à l’état ou à la situation géographique de la chose louée. Tel n’est pas le cas d’arrêtés prohibant l’ouverture de tous les commerces ne servant pas à l’approvisionnement de base de la population.

L’obligation du bailleur se limitant à fournir la jouissance de la chose louée, elle n’est pas rendue impossible par l’interdiction faite au preneur de l’utiliser comme local commercial. Le preneur ne peut donc pas refuser son paiement sur le fondement de l’impossibilité, articles 326, 275 BGB.

En revanche, il pourrait être en droit de demander l’adaptation du contrat pour cause d’imprévision, article 313 BGB.

Concernant l’élément factuel, la Cour se réfère à l’article 240 § 7 EGBGB et constate au surplus qu’aucune des parties n’avait pu imaginer qu’une pandémie mondiale viendrait perturber la relation contractuelle empêchant ainsi l’utilisation du local à des fins commerciales. L’élément hypothétique est ensuite déduit de ce qui précède, puisque de l’avis de la Cour, les parties auraient prévu une possibilité d’adapter le contrat et n’auraient pas souhaité faire peser le risque pandémique sur une seule d’entre elles, si elles en avaient eu connaissance.

La question centrale concerne donc l’élément normatif de l’imprévision et se résume comme suit : peut-on raisonnablement exiger de la part du preneur, au vu de tous les éléments d’espèce et de la répartition légale et conventionnelle des risques, d’honorer le contrat à des conditions inchangées ? La Cour relève que l’intervention de la puissance publique dans l’équilibre contractuel ne trouve pas sa source dans l’activité commerciale exercée ou dans la substance du local loué, mais dans l’objectif de ralentir la propagation de la pandémie et ne saurait donc être mise à la charge exclusive d’une seule partie au contrat.

Pour autant, ce simple état de fait ne justifie pas, à lui-seul, une adaptation du loyer pour la période de fermeture du commerce. Encore faut-il que cette fermeture rende le maintien du contrat à des conditions inchangées intolérable pour le locataire, ce qui doit être estimé au cas par cas en prenant en compte l’ensemble des éléments de l’espèce.

À ce titre, doivent être considérés :

  • La perte de chiffre d’affaires subi par le preneur au niveau du local en question – et non pas au niveau de la société ou du groupe. Il n'est pas non plus nécessaire que la survie économique du locataire soit effectivement menacée.
  • Les mesures que le preneur a prises ou aurait pu prendre pour limiter ses pertes
  • Les compensations financières éventuellement perçues par le biais d’aides étatiques (hors prêts) ou d’assurances pertes d’exploitation
  • Les intérêts du bailleur

C’est au preneur souhaitant obtenir une adaptation de son loyer de prouver que le maintien du contrat à des conditions inchangées ne saurait lui être raisonnablement demandé du fait de la fermeture de son commerce. Il doit démontrer avoir subi des pertes et avoir tout entrepris pour les compenser par l’obtention d’aides. S’il ne parvient pas à apporter cette dernière preuve, il devra être traité comme s’il avait obtenu lesdites aides.

L’arrêt de la Cour d’appel de Dresde a donc été censuré en ce qu’il avait procédé à un partage 50-50 du risque pandémique en réduisant le loyer de moitié pour la période considérée.

3. Conclusion

La solution adoptée par la Cour fédérale rebat les cartes des négociations entre bailleurs et preneurs de locaux commerciaux. Le rejet de la répartition 50-50 de principe fragilise la position des preneurs qui pourront, en revanche, se réjouir que la perte de chiffre d’affaires doive être estimée au niveau de chaque local et non au niveau de la société, voire du groupe de sociétés ou qu’une atteinte à leur survie économique ne soit pas une condition sine qua non de la réduction de loyer.

Au reste, l’arrêt du 12 janvier 2022 demeure assez sibyllin sur le contour précis des critères à prendre en compte dans l’évaluation d’ensemble exigée par la Cour fédérale pour caractériser l’élément normatif de l’imprévision. Il reste évidemment à attendre et observer quelles conséquences les juridictions du fond tireront de cette décision, mais il y a fort à parier que nombre d’entre elles recourront à des experts pour estimer les aspects économiques de la réduction de loyers, ce qui aura pour effet de rallonger et renchérir les procédures judiciaires.

De ce fait, et à cause des nombreuses incertitudes persistant à la suite de l’arrêt de la Cour fédérale, on ne saurait trop conseiller aux bailleurs et preneurs de tenter de trouver un accord amiable sur les questions de loyers à payer pendant les restrictions administratives liées à la COVID-19, s’ils souhaitent que leur litige puisse être résolu rapidement.

Etienne Sprösser, Rechtsanwalt (Avocat en Allemagne), Doubles-diplômes en droits français et allemand des universités de Cologne et Paris 1, Master de l’Institut des assurances de Paris-Dauphine