Meilleure protection des dirigeants d’une société en crise

calendar icon  08. September 2023   category icon  Blog   category icon  International  

En cas de crise d’une entreprise, un risque de responsabilité très lourde pèse sur ses dirigeants tenus de demander sans délai l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

Notre bulletin rappelle l’étendue des risques encourus par les dirigeants d’entreprise en cas de crise et présente les devoirs que la Cour fédérale impose dorénavant aux avocats dans ce contexte.

 

 

Ellen Delzant
Ellen Delzant

Avocate (Rechtsanwältin, zugelassen in Frankreich)

Rechtsanwältin

Dans cette situation, il est, en principe, interdit aux dirigeants d’effectuer des paiements pour le compte de l’entreprise se trouvant en état d’incapacité de paiement ou surendettée, sous peine de devoir restituer personnellement ces paiements à la société.

Par un arrêt en date du 29 juin 2023 (n° d’affaires : IX ZR 56/22), la Cour fédérale allemande (Bundesgerichtshof) a décidé qu’un avocat mandaté par une entreprise confrontée à une situation de crise peut être tenu, en cas de risque d'insolvabilité de sa cliente, d’avertir ses dirigeants de leur propre risque de voir leur responsabilité personnelle engagée.

1. La responsabilité des dirigeants en cas de crise

Le Code de l’insolvabilité allemand (InsO) prévoit un régime particulier de responsabilité des dirigeants d’une personne morale ou d’une société de personnes à caractère capitalistique, leur imposant une vigilance accrue en cas de survenance d’une cause d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. A ce titre, l’article 15a InsO oblige les dirigeants à déposer une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité sans retard excessif constitutif d’une faute. La demande doit être faite au plus tard trois semaines après la survenance de l’insolvabilité et six semaines après la survenance du surendettement. Le non-respect de cette obligation est passible d’une peine de prison de trois ans maximums ou d’une amende.

De plus, en cas de survenance d’une cause d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, l’article 15b InsO interdit, en principe, aux dirigeants d’effectuer des paiements pour le compte de l’entreprise insolvable ou surendettée, sous peine de devoir restituer personnellement ces paiements à la société. Ne sont permis que des paiements compatibles avec la diligence d’un dirigeant honnête et consciencieux. Les paiements effectués pour la marche courante des affaires, notamment ceux servant à maintenir l’activité, sont considérés comme compatibles avec la diligence d’un dirigeant honnête et consciencieux, tant que le délai pour déposer une demande en ouverture d’une procédure d’insolvabilité conformément à l’article 15a InsO n’est pas écoulé, à condition toutefois que les dirigeants prennent des mesures pour écarter durablement une situation d’insolvabilité ou pour préparer une telle demande avec la diligence d’un dirigeant honnête et consciencieux. Une fois le délai légal de dépôt d’une demande écoulé sans que celle-ci soit déposée, les paiements sont, en règle générale, considérés comme incompatibles avec la diligence d’un dirigeant honnête et consciencieux.

Il s’agit d’une responsabilité très lourde, englobant en particulier les encaissements sur un compte débiteur de la société, le dirigeant étant obligé, le cas échéant, d’ouvrir un autre compte nécessairement créditeur pour faire en sorte que des paiements à la société soient effectués sur un compte créditeur. Ce chef de responsabilité est très fréquemment mis en œuvre par les administrateurs de l’insolvabilité allemands à l’égard du dirigeant concerné.

2. L’arrêt de la Cour fédérale allemande du 29 juin 2023

C’est justement ce qui est arrivé à un père et son fils, anciens gérants d’une entreprise placée en procédure d’insolvabilité. L’administrateur de l’insolvabilité leur réclamait le remboursement de paiements interdits. À la suite d’un accord transactionnel conclu avec l’administrateur, ils lui avaient payé un montant de 85.000 € et s’étaient retournés contre l’assurance de responsabilité civile professionnelle de l’avocat de l’entreprise pour obtenir des dommages-intérêts, en reprochant à l’ancien conseil de ne pas les avoir avertis.

La Cour fédérale leur a donné raison en retenant la responsabilité de l’avocat sur la base de la convention de mandat conclue avec l’entreprise. Bien que le mandat ait été conclu entre l’avocat et la société et que les dirigeants ne fussent pas partie au contrat, la Cour a décidé sur le fondement de la notion du « contrat avec effet protecteur au profit de tiers » (Vertrag mit Schutzwirkung zugunsten Dritter), développée par la jurisprudence allemande, que le devoir d'information et de mise en garde pesant sur l’avocat en vertu du mandat vis-à-vis de la société a, en présence d’une cause potentielle d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, un effet protecteur au profit de son dirigeant, à condition qu'il existe un rapport de rattachement suffisant avec la prestation principale due en vertu de la convention de mandat. Au cœur du rapport de rattachement requis avec la prestation se trouve le fait que le tiers a un intérêt particulier à la prestation principale objet du mandat, dans la mesure où la prestation de l'avocat est également destinée à assurer que le tiers respecte les obligations qui le visent personnellement et évite ainsi l’engagement de sa responsabilité personnelle. En l'espèce, l'intérêt du tiers protégé découle de ses obligations, en qualité de gérant, de déposer une demande d'insolvabilité en cas de survenance d’une cause d’ouverture et de s’abstenir d’effectuer des paiements pour le compte de l’entreprise ainsi que des conséquences en termes de responsabilité personnelle encourue en cas de non-respect de ces obligations.

La Cour fédérale allemande a souligné que la qualité de tiers protégé s’étend non seulement au dirigeant de droit effectivement désigné d’une entreprise mais également au dirigeant de fait.

Force est de constater que la Cour fédérale allemande a élargi sensiblement les devoirs d’information et de mise en garde d’un avocat mandaté par une entreprise – et non pas par ses gérants - et ses risques de responsabilité professionnelle en découlant. Tout dépend de la définition de la prestation due selon la convention de mandat. Pour établir sa responsabilité vis-à-vis du dirigeant à titre personnel, il n’est pas nécessaire que l’analyse de la survenance d’une cause d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité soit précisément l’objet du mandat conclu avec l’entreprise. Il est suffisant que l’entreprise ait chargé l’avocat de la conseiller dans une situation de crise.

Les avocats conseillant une entreprise confrontée à une situation de crise sont donc dorénavant tenus d’informer également les dirigeants de leurs obligations et de les mettre en garde contre les risques de responsabilité personnelle encourus à ce titre. Cette jurisprudence contribue à mieux protéger les dirigeants à titre personnel face à leurs devoirs accrus en situation de crise de la société.

Ellen Delzant, Rechtsanwältin (Avocate en Allemagne), Avocate